
Non mais franchement, c’était plutôt évident que je n’allais pas me transformer en voyageuse de l’extrême en un passage de frontière! Je n’ai pas attrapé le virus du voyage dès mon plus jeune âge. J’étais plutôt consigné à la piscine du coin de juillet à septembre : ça laisse peu de place au dépaysement. Ce n’est qu’adulte, avec Rémy, que je me suis initiée au plaisir de changer de décor.
A nous les petites escapades en France et en Europe. Et comme on ne partait pas non plus tous les quatre matins, on essayait de se faire plaisir! Du plaisir à la pelle, comme un leitmotiv avant de repartir au travail. Une parenthèse d’évasion.
Et la d’un coup, après ce mini entraînement, voilà que je me retrouve à parcourir le monde avec mon sac à dos pendant un an. Un peu comme si après m’être entrainé une ou deux fois à marcher vite de chez moi à la boulangerie du coin, je décidais de faire le Marathon de New York. Alors forcément il ne fallait pas s’attendre à ce que tout soit d’une stupéfiante simplicité. Que je ne me pose même pas une seule fois la question : « dans quoi j’ai été m’embarquer ? ».

Parfois je me suis dis que je devais être un peu chochotte. Par exemple, les vrais baroudeurs ne sont pas perturbés par l’accumulation des déchets sur leurs routes, ils arrivent à voir la beauté qu’il y a derrière. Ce n’est pas des pots de yogourts et des canettes de sodas amoncelés qui vont gâcher leur plaisir d’admirer la petite colline verdoyante derrière. Alors que moi j’endosse immédiatement ma casquette d’activiste pour m’inquiéter de la destruction imminente de la planète sans une prise de conscience radicale des pays en voie de développement. Nicolas Hulot prend possession de mon corps- et j’en oublie peut être d’apprécier à sa juste valeur la petite colline derrière.
Parfois, je suis nostalgique de mon chez moi. Je pourrais verser une larmichette rien qu’en pensant à mon canapé tout doux et aux plats du terroir (comprendre: avec du fromage) mitonnés dans ma petite cuisine. Parce que troquer toute son indépendance (au revoir maison, au revoir voiture, au revoir travail) contre un sac de 40 litres, c’est pas aussi simple que ca. C’est un changement de vie à 360 degrès. Tout ceux qui sont déjà passés par là, jurent croix de bois croix de fer, que c’est le meilleur choix de leurs vies. Et il y a pas intérêt que ce soit du pipeau, un coup monté par les lobbys de l’industrie du voyage, parce que parole d’Elise Lucet, j’en resterais pas là!

Souvent, je vis un flot d’émotions contradictoires toutes aussi intenses les unes que les autres. Ma vie de sédentaire et ses habitudes bien rodées laissaient peu de place à une explosion du palpitant, il faut dire.
Quand à la fin de l’après midi, je suis surplombée par un ciel fascinant, et que mes fesses font tranquillement trempettes dans une eau turquoise digne d’un fond d’écran windows, je nage dans un océan de bonheur et je me dis que j’ai une sacrée veine. Par contre, quand je suis coincée dans une gare routière douteuse et déserte en plein milieu de la nuit au fin fond du Laos, je me dis que si Christophe Maé venait me susurrer « il est où le bonheur? », je répondrais peut être pas « il est làààà ».
Il n’empêche que si un malin génie venait à m’apparaitre et me tentait de sa voix envouteuse « viens, viens, prends ce billet d’avion maintenant; au retour tu jouiras à nouveau de ton confort… Tu te vois là enclencher ta machine à raclette? hum, le fromage qui fond délicatement sur la pomme de terre? Sans aucun risque de désordre intestinal parce qu’ici il y a une chaine du froid! » tentant mais je déclinerais sa proposition. Et bien oui, sauf à découvrir l’existence d’une machine à téléportation permettant un aller/retour express, je répondrais « désolé mais c’est niet ».

J’ai encore tellement de choses à découvrir et je crois que le meilleur reste à venir!
Et puis, il faut pas oublier qu’avant, notre vie n’était pas un symbole absolu d’épanouissement. Avant c’était aussi ce réveil qui sonnait immanquablement du lundi au vendredi à 7h10 et qu’on avait envie de projeter contre le mur. C’était aussi un petit déjeuner, loin de la samba du carnaval de Rio, où Rémy avait à moitié la tête dans son café corsé du Sri Lanka et l’autre dans des théories sur la sécurité alimentaire dans les établissements médico-sociaux.
Tout ça pour nous retrouver le soir venu, fatigués, et parfois tracassés pour quelques petites heures de liberté. Il était très fréquent que la tête posée sur mon oreiller, je ressasse les problèmes de monsieur Schmulduk qui a craqué sur un coup de tête pour un ensemble de batterie de cuisine pour 9990 euros, même si ça implique pour lui d’être plus endetté que la sécurité sociale. J’échafaudais des plans pour le sortir du pétrin (lui et les autres) dès le lendemain. Et ce n’est pas un bon socle pour un sommeil détendu! C’est un coup à se faire deux journées de travail d’affilés: la réelle et la fictive.
Et encore, malgré le peu de temps de cerveaux disponibles (et connectés ensemble) que nous avions, nous étions satisfaits de ne pas venir grossir les chiffres du chômage relayés en boucle par I-Télé.

Mais ça, c’est une autre question! Il fallait bien faire des choix: The Clash (et David Charvet) se posait la bonne question « should I stay or should I go ». Et le point positif c’est que maintenant le soir, je ne ressasse plus rien sous ma moustiquaire, parce que je suis trop exténuée pour ça! Et puis, là je m’imprègne du Laos et j’écoute la sagesse de ce cher Bouddha (en laissant de côté momentanément le pessimisme français ) : « accepte ce qui est; laisse aller ce qui était; et aie confiance en ce qui sera ».
